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[Luxembourg 2005 Présidence du Conseil de l'Union européenne]
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Discours
Intervention de Marie-Josée Jacobs, ministre de la Famille et de l’Intégration à la 4e Rencontre européenne des personnes en situation de pauvreté - Bruxelles 10-11 juin 2005

Date du discours : 10-06-2005 - 11-06-2005

Lieu : Bruxelles

Orateur : Marie-Josée Jacobs, ministre de la Famille et de l'Intégration et de l'Égalité des chances

Domaine politique : Emploi, politique sociale, santé, consommation

Réunion : 4e Rencontre européenne des personnes en situation de pauvreté


Il y a un an, j’ai eu l’honneur de participer, en tant qu’invitée, à la séance d’ouverture de la "3e Rencontre européenne des personnes en situation de pauvreté", organisée par la Présidence irlandaise de l’Union européenne.

En organisant cette 3e Rencontre, la Présidence irlandaise relayait l’engagement de la Présidence belge qui, en 2001, a organisé la première rencontre de ce type.

Elle relayait aussi l’engagement de la Présidence grecque qui, après avoir organisé la 2e Rencontre en 2003, proposa aux Présidences européennes successives d’inclure dans le plan annuel des travaux l’organisation récurrente de telles rencontres.

En m’adressant aux participants de la 3e Rencontre en mai 2004, je les avais informés de mon projet de faire fonction de relayeur en 2005 en organisant, dans le cadre de la Présidence luxembourgeoise de l’Union européenne, une 4e Rencontre.

Aujourd’hui, ce projet s’est réalisé et j’ai le grand plaisir de vous souhaiter la bienvenue.

Je crois pouvoir dire que la 4e Rencontre témoigne du fait que ce type de rencontre commence véritablement à s’institutionnaliser en tant qu’élément essentiel du processus d’inclusion sociale communautaire.

Si la Présidence luxembourgeoise est en mesure de contribuer à cette institutionnalisation c’est aussi grâce au soutien multiple dont elle a bénéficié.

Ce soutien est venu de la part du gouvernement belge et du gouvernement autrichien et de la part de la Direction Emploi et Affaires sociales de la Commission européenne.

(..)

Comme celles qui l’ont précédée, la 4e Rencontre répond à un des quatre objectifs communs adoptés par l’Union européenne en matière de lutte contre la pauvreté.

Cet objectif appelle à la mobilisation de tous les acteurs et il demande aux Etats membres de promouvoir l’expression des personnes en situation d’exclusion sur leur situation et sur les politiques développées à leur endroit.

Si j’ai tenu à organiser la 4e Rencontre c’est pour témoigner de mon engagement pour cet objectif.

Cet engagement est fondé sur une conviction profonde.

Pour vous faire part de cette conviction, j’utiliserai les mots du Professeur O’Cinnéide de l’Université irlandaise de Maynooth qui a présidé la 3e Rencontre.

Il écrit dans le rapport publié suite à la 3e Rencontre ce qui suit:

"Les stratèges politiques les mieux intentionnés et les mieux informés ne peuvent prétendre élaborer des politiques, des programmes ni des pratiques de lutte contre la pauvreté sans avoir une idée de ce que pauvreté veut dire : or les seules personnes qui puissent en parler sont les personnes en situation de pauvreté elles-mêmes".

Madame Quintin s’est exprimée dans le même sens au cours de la 3e Rencontre en déclarant:

"L’époque où les politiques étaient concoctées par une poignée de fonctionnaires qui ‘savaient’ ce qui était le mieux, est révolue. Aujourd’hui, la parole des personnes concernées pèse davantage sur les décisions politiques".

Au cours des 2 jours de la Rencontre, les membres des nombreuses délégations nationales auront la parole pour s’exprimer en tant qu’ambassadeurs des citoyens démunis de l’Union européenne dont le nombre reste préoccupant.

Le thème qui sera exploré est celui de l’image de la pauvreté et de l’impact de cette image sur les politiques d’inclusion.

Vaste sujet!

Je commencerai mes quelques remarques introductives sur le sujet par deux phrases du grand philosophe français Paul Ricoeur qui est décédé fin mai.

La première phrase fait apparaître l’humanisme de Paul Ricoeur :

"Le plus court chemin de soi à soi passe par l’autre".

La deuxième phrase résume toute la problématique que soulève le sujet de la 4e Rencontre:

"Le regard des autres peut nous libérer mais aussi nous enfermer".

Les personnes vivant en situation de pauvreté et d’exclusion sociale sont souvent enfermées dans l’image qui se forme d’eux dans le regard des autres, dans le regard de ceux qui ne savent pas ce qu’est la pauvreté.

Dans le cadre de la préparation de la 4e Rencontre, "EAPN"  a compilé dans un document ce que des délégués ont dit sur certains sujets au cours des trois Rencontres précédentes.

Dans cette compilation j’ai pu lire la phrase simple et juste: "L’image des pauvres n’est pas correcte".

En effet, très souvent, trop souvent, l’image de la personne pauvre est un stéréotype.

Je vais illustrer ces représentations négatives à l’aide d’un exemple que je connais bien en tant que Ministre compétente pour le dispositif revenu minimum garanti.

Le Luxembourg connaît depuis 1986 le droit à un revenu minimum garanti, communément désigné par son abréviation RMG.

En application des  principes fondateurs de l’Etat de droit, l’individu exerce sa citoyenneté et participe à la vie collective en faisant valoir ses droits.

19 ans après sa création, le droit au revenu minimum garanti continue cependant d’être lié à des processus d’étiquetage social.

Ces étiquetages constituent une atteinte à l’identité de ceux qui font valoir leur droit au revenu minimum garanti : ils se voient attribuer le statut de "RMGiste".

Ce statut imprime sur eux comme la marque d’un stigmate qui fausse la perception des réalités sociales.

En effet, acculer ceux qui font valoir leur droit au revenu minimum garanti au seul statut de "RMGiste" signifie les désigner comme une catégorie de personnes à part alors qu’ils forment une population hétérogène comme toutes les autres.

En voyant l’individu comme "RMGiste" seulement, son identité, son image de soi est mise en question:  un aspect de sa situation, à savoir un problème de ressources insuffisantes, vient à le déterminer dans sa totalité!

Pour le dire avec les mots de Paul Ricoeur: le regard des autres enferme l’individu dans l’image du "RMGist".

Beaucoup d’entre vous souffrent de cet enfermement.

Ils savent aussi combien il est difficile de s’en dégager : alors que vous êtes un individu unique, à nul autre pareil, l’image que vous renvoient les autres restera celle du "RMGiste".

Vous savez chanter ou tricoter, vous êtes un sportif accompli ou vous jouez le violon comme Paganini, vous êtes une mère, un père, une sœur, un frère, un syndicaliste engagé, une féministe résolue, une personne grave ou  optimiste  ...……  ,

aux yeux des autres vous restez le "RMGiste", celui qui touche une aide sociale.

Je m’opposerai toujours à l’utilisation de ce terme et à l’image qu’il transporte car cette image est réductrice et dépersonnalisante.

Si la Rencontre qui nous réunit aujourd’hui se définit comme "Rencontre des personnes en situation de pauvreté" ce n’est donc point innocent!

Aux premières pages du rapport de la 3e Rencontre on peut voir les photos des participants.

Le choix de les publier n’était pas innocent non plus! En effet, sur ces photos on ne voit pas des entités abstraites.

Ces images montrent des individus:

des hommes et des femmes, les uns vieux, les autres plus jeunes, des êtres humains avec des teints et des expressions différentes, avec des signes distinctifs particuliers permettant de les reconnaître facilement.

Ces photos véhiculent un message fort :

si la pauvreté signifie manquer de revenu et d’occupation rémunératrice, manquer de force sociale, de pouvoir, de participation à la vie sociale et de statut, ceux et celles qui sont exposés à ces manques ne peuvent se résumer dans le terme "les pauvres".

Ils et elles sont, en premier lieu et avant tout des « personnes » et ensuite seulement des "personnes en situation de pauvreté et d’exclusion sociale". 

Lors d’une précédente Rencontre, une délégation a exigé ce qui suit :

"Les personnes exclues doivent donner une image active d’elles-mêmes, de leur capacité à prendre des initiatives pour changer leur vie, à s’exprimer au sein d’associations".

Cette exigence exprime le refus de la mauvaise image de la pauvreté.

Le pouvoir des  images ou des représentations va cependant encore plus loin.

Comme elles vont de pair avec des explications de la pauvreté, elles influent sur les approches politiques à l’égard de la pauvreté.

Le chercheur Peter Townsend, qui s’est beaucoup intéressé aux questions ayant trait à la pauvreté, s’est prononcé à ce sujet en déclarant sans équivoque :

"Toute explication de la pauvreté comprend une prescription implicite de politique".

La 4e Rencontre a donc eu raison de s’intéresser aux images et aux perceptions de la pauvreté !

Dans un rapport rédigé en octobre 2002 pour la Commission européenne, plus précisément pour la Direction que dirige Madame Quintin, le chercheur Serge Paugam fait ainsi l’hypothèse suivante:

"Un pays sera d’autant moins disposé à développer des politiques sociales ambitieuses que ses habitants seront nombreux à considérer la pauvreté comme un problème relevant de la responsabilité de chaque individu et, au contraire, un pays sera d’autant plus encouragé à consacrer des moyens pour la lutte contre la pauvreté que ses habitants verront dans ce problème l’effet d’un système injuste condamnant les plus démunis à un destin commun".

Dans ce contexte j’ai le plaisir de citer le Président de la 4e Rencontre.

Le Professeur Schaber a en effet étudié le rapport des individus à la pauvreté dès 1974.

Dans une étude sur la pauvreté persistante exécutée pour la Commission en 1982, il avait ainsi pu constater que "la moitié des personnes interrogées localise la cause de la pauvreté du côté de l’individu, l’autre moitié du côté de la société".

Comment ces perceptions de la pauvreté ont–elles évoluées?

Le rapport Paugam de 2002 apporte une réponse à cette question.

Il en ressort de ce rapport que dans l’ensemble des 14 Etats membres pris en compte, 17 % des personnes interrogées expliquent la pauvreté par  la paresse alors que 31 % l’expliquent par  l’injustice.

Les différences de perception nationales sont très grandes: ainsi 29 % des Portugais mais seulement 8 % des Suédois voient comme cause de la pauvreté la paresse et si dans la partie Est de l’Allemagne 50% s’expliquent la pauvreté par l’injustice ce ne sont que 12 % au Danemark.

Le rapport précité montre aussi que, dans l’ensemble, la part de l’explication "paresse  augmente alors que celle de l’explication "injustice" diminue fortement.

Cette perception de moins en moins favorable de la pauvreté par le grand public m’inquiète.

Certains pourraient y voir un encouragement pour l’affaiblissement des politiques d’inclusion sociale.

Je ne suis pas de ceux-là !

Je suis  au contraire d’avis qu’au sein d’une Union européenne qui compte 69 millions de personnes qui sont exposées au risque de pauvreté et 14 millions de travailleurs pauvres, il y a lieu de renforcer les politiques d’inclusion sociale.

Nous parlons souvent de ces politiques en termes de lutte contre la pauvreté:

le combat contre des images fausses de la pauvreté qui peuvent conduire au développement de  politiques fausses envers les personnes qui vivent en pauvreté devrait aller de pair avec cette lutte.

Les travaux de cette 4e Rencontre sont destinés à identifier les meilleures voies pour y arriver.

Je vous souhaite donc des échanges fructueux !

Merci  pour votre attention.


A ce sujet ...



Dernière mise à jour de cette page le : 10-06-2005

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