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Ils sont peu nombreux. C’est sans doute l’essentiel de ce qu’on sait d’eux, ailleurs. Ils sont peu nombreux, et pourtant leur pays est le membre de l’Union européenne qui a connu la plus forte croissance démographique ces dernières années (oui, le goût du paradoxe fait partie de la gastronomie locale). Non pas qu’un baby boom spectaculaire ait provoqué des embouteillages dans les maternités locales, suite à une panne d’électricité ou à une nouvelle prime au troisième enfant, mais plus simplement parce que des renforts arrivent régulièrement de pays plus ou moins voisins. Peu nombreux, donc rares. Un fameux syllogisme ajouterait: rares donc chers. Ce qui explique peut-être leur réputation de richesse. Vus de loin, les habitants du Grand-Duché sont peut-être décrits aussi sommairement: peu nombreux mais riches. Ce qui ne devrait pas surprendre, car le monde est ainsi fait que, depuis des millénaires, il y a plus de pauvres que de riches.
Comment expliquer alors l’accroissement constant de la population, si l’on considère le principe mathématique qui veut que plus le nombre de parts est grand, plus les parts sont fines? Mettons ce mystère sur le dos du goût du paradoxe évoqué plus haut. Admettons que le cliché "rares et chers" ait quelques fondements, il ne suffirait certainement pas à décrire, même sommairement, les spécificités d’une population attachée à ses traditions, en tout premier lieu à sa personnalité et à sa langue, mais amenée, souvent de gré parfois de force, à se fondre dans un monde où le gigantisme et les tentations de standardisation laissent peu de place aux exceptions, gomment les singularités, négligent les susceptibilités ou méprisent les petits. Il est, c’est indiscutable quoique peu moral, plus facile d’être remarquable quand on prend toute la place, plus aisé d’être reconnu quand on fait de l’ombre aux autres et bien sûr plus commode de s’imposer quand on est plus fort.
Fidèles à leur devise qui affirme: "nous voulons rester ce que nous sommes", les Luxembourgeois continuent donc à s’entêter à se distinguer en n’étant pas tout à fait comme les autres; tout en étant si proches des autres. Ni tout à fait semblables, ni tout à fait différents, ils se situent entre deux extrêmes: réunir tous les défauts des autres Européens, ce qui serait un cauchemar. Ou bien réunir toutes leurs qualités, ce qui serait un mauvais rêve. Et, comme les qualités des uns sont considérées comme des défauts par les autres (et vice-versa), toute synthèse s’avérant impossible, il est illusoire de vouloir faire de l’homo luxemburgus un prototype de l’homo europeanus.
Est-il d’ailleurs raisonnable de tenter de tracer les grandes lignes de la personnalité d’un peuple sans tomber dans un catalogue de préjugés ridicules et dangereux? De "fier Espagnol", "rigoureux Allemand", "charmeur Italien", "jovial Belge", "galant Français", "flegmatique Anglais"... on glisse si vite à "espingo prétentieux", "teuton brutal", "rital roublard", "belgo lourdingue", "franchouillard crâneur" ou "rosbif archaïque". Si le même exercice se révèle difficile s’agissant des Luxembourgeois, si on ne les gratifie pas plus d’un qualificatif élogieux qu’on ne les affuble d’un quolibet péjoratif, c’est qu’ils n’ont pas eu, au cours de l’histoire, la puissance permettant d’imprimer, fût-ce de force, dans la mémoire collective de leurs voisins, une image flatteuse. Puissance qui aurait provoqué du même coup, chez ces mêmes voisins, de pesants ressentiments engendrant une image douteuse. C’est donc sans parti pris qu’on peut prendre le parti de se risquer à esquisser les contours de la silhouette du Luxembourgeois type.
La simple lecture d’une carte permet de comprendre que les Luxembourgeois vivent entre la France et l’Allemagne, à la frontière des mondes roman et germanique. Cette situation a évidemment influé sur l’histoire du pays, laquelle histoire, mouvementée et riche en rebondissements, a elle-même déterminé les réalités actuelles (ce qui va de soi n’importe où, donc ici aussi). Les Luxembourgeois ont gardé de l’époque de la forteresse et des souverainetés étrangères successives à la fois une étonnante faculté d’adaptation et une farouche volonté de préserver leur indépendance. Ils ont également gardé de ces temps troublés un sens pratique; on pourrait même dire un bon sens pratique les conduisant à la recherche presque obsessionnelle du consensus.
Un indice extrêmement tangible de ce sens inné du compromis est décelable dans le nom des Luxembourgeois. Placés entre le cousin germain et le voisin français, ils ont des prénoms francophones et des patronymes à consonance germanique. En principe, on se prénomme Jacques (c’est un exemple, tout le monde ne s’appelle pas Jacques) et on se nomme Schneider (c’est aussi un exemple, certains se nomment Schmit). Pour ne pas succomber à la tentation du schéma trop simple (un prénom français et un nom allemand, ce qui laisserait supposer un certain manque d’originalité), les Luxembourgeois transforment volontiers leurs prénoms en diminutifs bien luxembourgeois. Les Charles deviennent des Charel (ce qui diminue peu, il faut bien en convenir), les Henri des Heng, les Jean-Pierre des Jemp, les Émile des Mill, les Pierre des Pit...
Ces exemples sont masculins, mais les femmes ne sont pas toujours épargnées. Pourtant, certains parents s’évertuent à donner à leurs nouveau-nés des prénoms monosyllabiques non diminuables. Histoire de ne pas faire comme les autres. Si l’on rencontre un Guy, un Marc ou un Luc, on peut en déduire que leurs parents sont des originaux. La période récente a quelque peu bousculé la règle et les mariages entre nationaux et immigrés ou entre Luxembourgeois disons d’il y a plus longtemps (pour éviter l’affreuse expression "de souche") et néo-Luxembourgeois, donnent d’étonnants mélanges. Des Julia Suarez-Schmit, des Roby Müller-Trippollini ou des Bernd Ogasaka-Schneider. Comme quoi si "plus d’un âne s’appelle Martin", tous les Luxembourgeois ne s’appellent pas Jacques Schneider. Et, comme ici autant qu’ailleurs les modes s’infiltrent insidieusement à travers les petits ou grands écrans, il ne doit pas manquer de petits Kevin ou de charmantes Zelda!
Légitimement fier d’être polyglotte, le Luxembourgeois lit (quand il les lit) Goethe et Hugo dans leurs langues respectives. Il lui arrive fréquemment d’être capable d’apprécier Shakespeare en anglais et bien entendu Michel Rodange, poète national, en luxembourgeois. Cette aptitude à déguster les chefs-d’œuvre dans leur langue originelle n’empêche pas le Luxembourgeois d’avoir ses préférences. En règle générale, il s’assoupit plus volontiers devant les chaînes allemandes, somnole devant les films américains, parcourt distraitement des journaux germanophones, écoute assidûment la radio luxembourgeoise, arpente avec mélancolie les plages belges et se jette goulûment sur la cuisine française. Il aime à répéter que la cuisine luxembourgeoise allie la qualité française à la quantité allemande. Tout en pensant que ni la qualité des uns ni la quantité des autres n’ont de leçon à donner à la «qualantité» luxembourgeoise.
Parfois déchiré lorsque la France et l’Allemagne s’affrontent à l’occasion d’une compétition footballistique, le Luxembourgeois sait devenir le supporter de celui qui aura gagné. Il ne s’agit pas là d’opportunisme, mais de bon sens. Que le FC Metz réalise une bonne saison, les spectateurs luxembourgeois se presseront dans les tribunes du stade Saint-Symphorien. Qu’il croupisse en fin de tableau, les travées de Kaiserslautern se rempliront. Il en va de même pour la vie politique des voisins. Que le parti proche de sa sensibilité l’emporte en France, l’actualité hexagonale revêtira un intérêt renforcé. Qu’il soit battu à Paris, mais triomphe outre-Moselle, les échos du Bundestag seront guettés avec attention.
Depuis que la construction européenne a écarté tout risque de conflit dans cette partie du Vieux Continent, il est normal de ne plus avoir à opposer Hugo à Goethe. Mais réduire les influences extérieures aux deux plus grands voisins serait oublier l’importance des proches parents belges. Les Luxembourgeois savent que, de l’autre côté de la frontière, les habitants de la Province du Luxembourg belge se nomment Luxembourgeois et les appellent, eux, les vrais de vrai, des grand-ducaux. Souvent amateurs de plages de la mer du Nord, admiratifs à l’égard des universités belges qu’ils fréquentent en grand nombre, consommateurs de ces bières étonnantes qui viennent faire de la concurrence aux productions nationales..., les Luxembourgeois sont juste un peu énervés quand des troupeaux de véhicules aux immatriculations rouges bloquent la circulation à certaines dates précises. Ils peuvent être encore plus agacés quand, chaque 11 novembre, les automobilistes français se joignent aux Belges pour créer dans la capitale les plus catastrophiques encombrements.
C’est que le Luxembourgeois aime qu’on apprécie son pays et qu’on vienne y faire du tourisme ou des achats. Il ne supporte simplement pas que cette présence nuise à la rapidité de ses propres trajets. Car son histoire d’amour avec la voiture est terriblement exclusive et ne tolère pas les rivaux. L’auto(mobile)satisfaction
On ne fabrique pas d’automobiles au Luxembourg. Par contre on en achète beaucoup. Les statistiques font état de plus d’une voiture par personne. Chaque personne possède donc au moins une bagnole, parfois deux, voire trois (fort heureusement, elle les conduit rarement simultanément), dans un pays qui compte moins de 100 kilomètres du nord au sud et une cinquantaine d’est en ouest (ou d’ouest en est, semble-t-il). L’absence de manufacturier national laisse libre choix au consommateur. Pas de réflexe chauvin donc, mais des habitudes marquées.
Durant l’Autofestival, les garages sont pris d’assaut par des hordes d’aficionados excités par les nouveautés aguicheuses. Bien sûr, des phénomènes comparables sont observés à Paris, Milan ou Genève. Mais si deux millions de personnes visitent le Salon de l’auto une fois tous les deux ans à Paris, cela ne représente qu’un soixantième de la population française annuellement. Ils sont bien plus que 7.000 Luxembourgeois à caresser à la fois les cambrures d’une carrosserie et l’idée de posséder le dernier modèle de chez Machin. Plutôt des modèles haut de gamme, ce qui explique que les emplacements de parking, conçus selon des standards étrangers, soient bien étriqués pour les véhicules circulant ici. Il y a paraît-il plusieurs dizaines de Ferrari immatriculées au Grand-Duché et on n’en croise quasiment jamais. Leurs propriétaires les utilisent de préférence à l’étranger, par discrétion sans doute. Si l’on souhaite avoir une voiture plus belle, plus grande, plus récente que le voisin, on sait se distancier de toute arrogance m’as-tu vu, toujours mal vue. Ici comme ailleurs, la voiture est un signe extérieur de réussite sociale. Mais ici, de manière moins ostensible. Il arrive encore que la nouvelle acquisition donne lieu à une promenade dominicale sur les rives de la Moselle, seule entorse à une traditionnelle et nécessaire modestie. C’est que le Luxembourgeois n’apprécie pas l’esbroufe, le remue-ménage, les esclandres, les vagues ou les turbulences. Son rêve n’est pas l’Empire du milieu, ce serait plutôt le Grand-Duché de l’entre-deux.
Il est un impair à ne jamais commettre pour ne pas perdre l’amitié des Luxembourgeois: leur adresser les critiques qu’ils s’adressent eux-mêmes. Amateurs d’esprit satirique, d’ironie grinçante, d’impertinence et de vacheries cinglantes, les Luxembourgeois se pressent dans les spectacles de cabaret dénonçant leurs mauvaises habitudes ou leurs petits travers. Ils ne sont pas tendres avec eux-mêmes mais se réservent ce droit à la moquerie à leur sujet. Il faut dire que les préjugés souvent véhiculés à l’étranger à l’encontre de leur pays peuvent agacer sinon révolter. Nourris par une ignorance désolante de la réalité luxembourgeoise, certains commentaires injustes, complaisamment reproduits par des médias peu soucieux de rigueur éditoriale, finissent par créer des complexes.
Vers l’extérieur, le Luxembourgeois revendique son multilinguisme. Entre ses murs, il se plaint d’être zéroglotte. Disposant d’une langue maternelle limitée à quelques centaines de milliers de locuteurs, il est contraint de communiquer avec le reste du monde en utilisant des idiomes empruntés. Il s’ensuit une certaine gêne et une appréhension étonnante à prendre la parole en public. C’est peut-être ce qui explique la modestie, voire la timidité de beaucoup de Luxembourgeois. Les termes "audace" ou "ambition" sont presque des gros mots. Vanter ses mérites, revendiquer ses talents, valoriser ses qualités ... sont des attitudes peu appréciées ici. L’expression "en bon père de famille", figurant en toutes lettres dans bien des contrats ou des textes légaux, s’applique à tous les domaines. Mais si on se dit "petits", on n’aime guère se l’entendre dire. D’ailleurs le duché lui-même n’est-il pas grand?
Impossible de ne pas tomber dans le piège. La lecture de ce qui précède laisserait entendre que les Luxembourgeois sont comme-ci ou comme-ça. Il serait aisé de trouver les contre-exemples prouvant qu’ils sont exactement l’inverse. En fait, l’ouverture du pays, la diversité de sa société multiculturelle, les nuances régionales ou les particularités locales font de cette communauté une société plurielle extrêmement riche. La langue même des Luxembourgeois varie selon qu’on est originaire du nord ou du sud. Pas uniquement en ce qui concerne les accents, mais également pour le vocabulaire. Séparés de quelques kilomètres, les habitants de la Moselle et de la capitale se découvrent des différences de mentalité insoupçonnables pour l’observateur étranger. Les gens de l’Oesling se voient plus conviviaux, ceux du Minett plus simples, ceux de la capitale plus modernes. Les mêmes constatations vaudraient pour des pays plus vastes et plus peuplés. Ajoutons à ces variantes le fait que bien des Luxembourgeois ont le teint mat. Ou la peau noire. Ou les yeux bridés.
Qu’est-ce qui les rassemble fortement, sans qu’ils se ressemblent forcément? La certitude d’être à la fois des citoyens du monde, des Européens convaincus et des Luxembourgeois indépendants. C’est grâce à cette conviction que le Luxembourgeois n’est pas une espèce en voie de disparition. Et que son observation en milieu naturel est si difficile!
(Texte: Claude Frisoni)
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