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[Luxembourg 2005 Présidence du Conseil de l'Union européenne]
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Discours
Discours de Jean-Claude Juncker lors de la session plénière du Parlement européen consacrée au thème de "L’Europe 60 ans après la fin de la Deuxième Guerre Mondiale"

Date du discours : 11-05-2005

Lieu : Strasbourg

Orateur : Jean-Claude Juncker

Domaine politique : Affaires générales et Relations extérieures

Réunion : Session plénière du Parlement européen


Monsieur le Président,

Monsieur le Président de la Commission,

Mesdames et Messieurs les députés,

Soixante années se sont écoulées depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Ce souvenir du 8 mai 1945, date de la capitulation du IIIème Reich, est une ardente obligation et je voudrais féliciter le Parlement européen de ne pas avoir manqué aujourd'hui de se souvenir du 8 mai 1945.

L'obligation de se souvenir est une obligation ardente. Elle est surtout ardente, me semble-t-il, pour ceux qui sont nés après la Deuxième Guerre mondiale, les hommes et les femmes de ma génération. Et lorsque nous nous souvenons du 8 mai 1945, de la capitulation de la démocratie allemande en 1933 et de la période terrible qui sépare ces deux dates, nous devons le faire, nous les jeunes, du moins par rapport à la génération concernée, avec beaucoup de retenue.

Ceux qui, comme moi, sont nés après la Deuxième Guerre mondiale, en 1954, 1955 et plus tard, doivent se souvenir avec retenue parce qu'ils n'ont pas été les témoins directs de la tragédie qui s'était abattue sur le continent européen.

Nous n'avons pas vu, comme l'ont vu ceux qui nous ont précédés, les camps de concentration et les prisons où furent tués, torturés et humiliés les hommes, jusqu'à leur abaissement le plus total.

Nous n'avons pas vu, comme eux, les champs de bataille, parce que nous n'avions pas à les traverser, la mort dans l'âme, sans parler de la mort physique très souvent.

Nous n'avons pas pu ni dû observer, comme eux ont pu et dû le faire, les longs cortèges de prisonniers de toutes les nations qui traversaient l'Europe, constituant en fait un seul cortège funèbre continental.

Nous n'avons pas, nous qui sommes nés après la Deuxième Guerre mondiale, été confrontés à des choix dramatiques, individuels ou collectifs.

Nous n'avions pas à dire non, nous n'avions pas à dire oui, nous pouvions vivre dans le soleil de l'après-guerre. Tous les choix dramatiques nous ont été épargnés.

Se souvenir du 8 mai 1945 est un acte qui alimente la mémoire collective. C'est très important au moment où les souvenirs directs, où l'expérience vécue de la guerre ou de l'immédiat après-guerre   le vécu direct avec le paquet d'expériences personnelles et de sentiments nobles   sont en train de se transformer en histoire, avec tout ce que l'histoire par rapport aux souvenirs comporte de distance et de grilles de lecture soi-disant objectives.

Aujourd'hui, les témoins directs de cette époque terrible de l'histoire continentale sont en train de disparaître. Émouvants, les vétérans russes sur leurs camions sur la place Rouge, émouvant ce long cortège de ceux qui ont fait la guerre pour eux et pour nous et qui, déjà aujourd'hui, ne savent plus marcher alors que tous, nous savons vers quoi ils sont en train de marcher. L'obligation de se souvenir est une obligation ardente.

Se souvenir, pour les hommes et les femmes de ma génération, veut dire également que nous devons nous souvenir avec retenue mais aussi avec beaucoup de reconnaissance. La reconnaissance, d'abord, pour la génération de nos pères et de nos grands-parents qui, revenus des champs de bataille, revenus des camps de concentration, libérés des prisons, avaient tant de raisons de baisser les bras, de ne rien faire, de pleurer sur leur sort. Mais ils ont reconstruit l'Europe et ils ont fait de l'Europe le plus beau continent qui soit. Soyons reconnaissants devant l'extraordinaire performance de la génération de ceux qui ont dû faire la guerre et qui ont voulu faire la paix!

(Applaudissements)

Lorsqu'on se souvient, lorsqu'on éprouve cette ardente obligation du souvenir, il faut aussi dire la vérité. Le 8 mai 1945 fut pour l'Europe une journée de libération.

Der 8. Mai 1945 war auch ein Tag der Niederlage. Aber es war die Niederlage des Faschismus, die Niederlage des Nationalsozialismus, die Niederlage der Kapitulation der Demokraten vor dem Schrecklichen, das seit 1933 passiert war. Aber es war für Deutschland auch und vor allem ein Tag der Befreiung!

(Applaudissements)

Ich möchte den gewählten Vertretern des deutschen Volkes in diesem Hause sagen: Noch nie waren die Deutschen uns so gute Nachbarn wie heute!

(Applaudissements)

 Dire la vérité, le 8 mai, le 9 mai, le 10 mai, c'est aussi se montrer reconnaissant à l'égard de ceux qui ont joint leurs forces et leur énergie aux forces et à l'énergie européennes pour libérer le continent européen. Je voudrais, avec soixante années non pas de retard mais de distance, dire combien nous, les Européens, nous devons être reconnaissants à ces jeunes soldats américains et canadiens qui, de l'autre côté de l'océan, sont venus en Europe pour libérer l'Europe, ignorant jusqu'à l'existence même d'un certain nombre de pays à la libération desquels ils ont contribué. Nous ne devrions jamais l'oublier.

(Applaudissements)

Ma remarque s'adresse aux soldats de l'Armée rouge. Quelles pertes! Quel nombre excessif de biographies interrompues parmi les Russes qui, pour la liberté de l'Europe, ont donné vingt sept millions de morts! Nul n'est besoin d'être épris, bien que je le sois, d'un grand amour pour la Russie profonde et pour la Russie éternelle, pour reconnaître que la Russie a bien mérité de l'Europe.

(Applaudissements)

Je voudrais rendre un hommage particulier à un peuple d'Europe qui a su dire non alors que d'autres, trop souvent, étaient tentés par un petit oui. Je voudrais ici, aujourd'hui, rendre hommage au peuple britannique qui a su dire non et sans l'apport duquel rien n'aurait été possible.

(Applaudissements)

Mais la liberté retrouvée, au début du mois de mai 1945, n'était pas égale partout. Nous, dans notre partie occidentale de l'Europe, confortablement établis dans nos vieilles démocraties, nous pouvions, après la Deuxième Guerre mondiale, vivre dans la liberté, dans une liberté retrouvée dont nous connaissions le prix. Mais ceux qui vivaient au centre de l'Europe et ceux qui vivaient à l'Est n'ont pas connu la liberté que nous avons connue pendant cinquante ans.

(Applaudissements)

Ils étaient soumis à la loi d'un autre. Les pays baltes, dont je voudrais saluer la venue en Europe et auxquels je voudrais dire combien nous sommes fiers de les avoir avec nous, ont été incorporés de force dans un ensemble qui n'était pas le leur. Ils étaient soumis non pas à la pax libertatis, mais à la pax sovietica qui n'était pas la leur. Ces peuples, ces nations qui sont allées de malheur en malheur ont plus souffert que tous les autres Européens.

(Applaudissements)

Les autres pays de l'Europe centrale et de l'Europe orientale n'ont pas connu cet extraordinaire volume d'autodétermination que nous avons pu connaître dans notre région d'Europe. Ils n'étaient pas libres. Ils devaient évoluer sous le régime de principe qui leur fut imposé. Je pense, avec énormément de tristesse dans le cœur, à tout le mal qu'aujourd'hui on dit de l'élargissement. Mais je dis aujourd'hui, alors que la Deuxième Guerre mondiale vient enfin de se terminer: vive l'élargissement!

(Applaudissements)

Cette Europe d'après-guerre qui, sans la guerre, n'aurait jamais pu devenir l'Europe telle qu'elle est aujourd'hui, cette Europe, née des cendres de la guerre, n'aurait jamais vu le jour s'il n'y avait pas eu ceux qu'on appelle les pères fondateurs de l'Europe   les Schuman, les Bech, les Adenauer, les de Gasperi, et d'autres qui, de cette phrase d'après-guerre "plus jamais la guerre", pour la première fois de l'histoire du continent, ont fait un espoir, une prière et un programme. Il faut aujourd'hui se souvenir avec émotion, avec reconnaissance de ceux qui ont eu le courage de dire oui après avoir dit non.

Ils n'auraient pas pu le faire s'ils ne s'étaient pas sentis transportés par les sentiments nobles et profonds de leurs peuples. On ne fait rien de grand contre la volonté du peuple. Si on a pu faire l'Europe comme nous l'avons faite, après la Deuxième Guerre mondiale, c'est que les peuples européens ne voulaient plus jamais revivre ce que le continent européen avait vécu comme tragédie, deux fois, au cours du 20ème siècle.

Il y a les pères fondateurs de l'Europe qui sont connus, il y a les peuples qui évoluaient dans l'ombre et qui partageaient ces nobles sentiments et puis, il y a les philosophes, les penseurs, les hommes politiques dont, trop souvent, on ne se souvient pas: Léon Blum, qui a rêvé de l'Europe dans une prison française, le grand Spinelli incarcéré sur une île d'Italie par les fascistes italiens, d'autres qui n'ont pas de nom mais auxquels nous devons beaucoup. Je voudrais saluer ceux qui, oubliés ou dans l'anonymat, ont rendu possible ce qui fut fait après la Deuxième Guerre mondiale.

(Applaudissements)

Il y avait la partie libre de l'Europe et la partie de l'Europe qui était paralysée par ce funeste décret de l'histoire, le décret de Yalta, qui voulait que l'Europe soit à tout jamais divisée en deux parties, des parties qui très souvent se regardaient en chiens de faïence et entre lesquelles nous avons trop souvent été incapables de jeter des ponts.

La guerre froide   c'est ainsi que tendrement on appela cette autre période tragique de l'histoire européenne   a paralysé les meilleures énergies de l'Europe; elle n'a pas permis aux meilleurs talents de l'Europe d'exprimer tout ce qu'ils avaient de bénéfique à exprimer si on les avait laissé faire.

Personnellement, je suis né en décembre 1954, mais je préfère dire que je suis né en 1955. J'ai grandi tout d'abord dans le respect de la performance de la génération de mon père, si je peux me permettre cette digression, qui a connu un sort doublement terrible, parce que les Luxembourgeois nés entre 1920 et 1927 étaient enrôlés de force dans la Wehrmacht et portaient un uniforme qui n'était pas le leur, un uniforme qui servait des ambitions qui n'étaient pas les leurs. Terrible sort que de devoir porter l'uniforme de celui qui est votre ennemi. La même remarque vaut d'ailleurs pour les Alsaciens et les Lorrains auxquels je rends hommage.

J'ai grandi dans l'atmosphère de la guerre froide où le monde, paraît-il, était plus facile à comprendre. Il y avait ceux qui étaient avec nous et ceux qui étaient contre nous. On ne savait pas pourquoi on aimait ceux qui étaient avec nous, mais on savait qu'on devait détester les autres. On savait que la menace était de l'autre côté et ceux qui étaient de l'autre côté pensaient que la menace était de notre côté. Que de chances perdues! Que de temps perdu en Europe suite à ces stupides analyses de l'immédiat après-guerre.

Réjouissons nous, aujourd'hui, de ne plus devoir nous référer à la logique implacable de la guerre froide et de pouvoir faire la paix entre les deux parties de l'Europe.

(Applaudissements)

Je pense souvent - sans doute parce que je ne le suis pas - aux sages de l'Europe, à Churchill par exemple. Le grand Churchill, en 1947, lorsque le premier congrès du Mouvement européen s'est réuni à La Haye et lorsque vit le jour l'idée de créer le Conseil de l'Europe devant le refus de l'Union soviétique de laisser participer les autres pays de l'Europe centrale et de l'Europe orientale à la fois au plan Marshall et à la construction du Conseil de l'Europe, a déclaré avec ce don prophétique qui était le sien: "Nous commençons aujourd'hui à l'Ouest ce qu'un jour nous allons terminer à l'Est". Mesdames et Messieurs, soyons fiers d'y être parvenus.

(Applaudissements)

Je me rappelle des propos de Victor Hugo qui, en 1849, écrivait "Un jour viendra en Europe où le seul champ de bataille sera l'ouverture des marchés sur des idées, viendra en Europe le jour où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes". Soyons fiers d'y être parvenus aujourd'hui.

Soyons fiers de pouvoir le dire au Parlement européen, représentation élue des peuples d'Europe, dont les membres sont les héritiers de ceux qui ont su dire non lorsqu'il fallait dire non, les héritiers de ceux qui ont su dire oui lorsque le oui était la seule option qui restait.

Soyons reconnaissants à ceux qui ont dit non lorsqu'il fallait dire non et soyons fiers de tous ceux qui, aujourd'hui, disent oui à la grande Europe, à l'Europe qui a vu son histoire et sa géographie se réconcilier.

Soyons fiers de ceux qui ne veulent pas que l'Europe se transforme en une zone de libre-échange et soyons fiers de ceux qui, comme nous, comme des millions d'autres, pensent que l'Europe est un continent compliqué qui mérite mieux qu'une zone de libre-échange.

Soyons fiers de l'Europe que ceux qui étaient là avant nous ont construite et comportons nous en dignes héritiers.

(L'Assemblée, debout, ovationne l'orateur)


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Dernière mise à jour de cette page le : 11-05-2005

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